Les Herbes sèches critique du film par Chantal Laroche-Poupard

Les Herbes sèches (de Nuri Bilge Ceylan. France/Allemagne/Suède/Turquie, 2022, 3h17. Avec Erdem Senocak, Deniz Celiloglu, Merve Dizdar, Musab Ekici. Compétition officielle Festival de Cannes 2023, prix d'interprétation féminine pour Merve Dizdar)

 

12 juillet 2023 (Chantal Laroche Poupard) - Après Il était une fois en Anatolie en 2011 et Winter Sleep, Palme d’or à Cannes en 2014, Nuri Bilge Ceylan signe ce long, très long métrage Les Herbes sèches. Il prend le temps de scruter et de disséquer l’âme humaine dont il analyse tous les recoins sombres, austères et parfois même sournois. Tandis qu’une lueur d’espoir est pourtant perceptible, Nuri Bilge Ceylan prête pourtant à ses protagonistes des intentions indéterminées aux contours parfois flous et ce dans le lieu hostile de l’Anatolie orientale éloignée de tout et délaissée par tous.

Le film s’ouvre par le plan sublime d’un homme marchant seul dans l’étendue immense de l’Anatolie orientale blanchie par l’hiver glacial. Cet homme est Samet qui revient pour la rentrée scolaire ; professeur d’arts plastiques, Samet est idéaliste, progressiste et essaie d’inculquer des méthodes nouvelles d’enseignement aux élèves, en étant plus proche d’eux. Mais avec son colocataire et collègue Kenan, il se retrouve accusé de gestes déplacés par une élève avec laquelle il semble nourrir une relation ambiguë, trop complice peut-être. Le scénario nous mène vers le doute et instaure un climat d’ambiguïté : les intentions ne sont pas claires, les choses ne sont pas très nettes ; on ne comprend pas exactement le comportement de l’élève ; ce qui est certain en revanche c’est que Samet se trouve déstabilisé, tandis qu’il est accusé de harcèlement. Mais le dossier relatif à cette accusation est vite clos.

Comme il le fait souvent, Nuri Bilge Ceylan construit un film à tiroirs, et il passe à autre chose ; ayant le sens des retournements, il rebondit sur d’autres thèmes, comme la réflexion sur l’indifférence de Samet. Sa rencontre avec Nuray, professeure comme lui, va ouvrir le deuxième tiroir du scénario. Nuray est très engagée ; elle a perdu sa jambe dans une manifestation politique ; sachant ce qu’elle veut, elle va amener Samet vers une réflexion profonde, en l’incitant à se dépasser, à aller au-delà de ses idées indécises et à refuser son individualisme qui s’oppose à toute solidarité. 

Dans un long dialogue, Nuray et Samet échangent leur point de vue tandis que Samet prend peut-être conscience de son attitude sans humanité et de sa vie morne et glaciale. Le superbe champ / contre-champ sur les visages donne intensité et tension à cet échange entre deux êtres qui, pourtant si différents, s’attirent. 

Nuri Bilge Ceylan filme sans concession l’âme humaine qu’il dissèque et analyse avec talent et sagacité ; l’âme de l’enfance, l’âme de l’adulte, l’âme sèche, désespérée, sournoise mais aussi l’âme courageuse et clairvoyante. 

Le monologue final en voix off de Samet laisse à penser que le cœur sec de Samet symbolisé par Les Herbes sèches pourra se transformer tandis que les paroles de Nuray auront porté leurs fruits. 

Nuri Bilge Ceylan comme dans ses précédents films nous comble de son art pur qui explose sur les plans fixes de paysages sublimes et surtout la lumière, que ce soit celle de l’aube, celle du crépuscule de cette Anatolie profonde ou celle de la chandelle qui éclaire les visages de deux personnages que l’on dirait sortis tout droit d'un tableau  du Caravage français, Georges de la Tour.  

Chantal Laroche Poupard


 

 


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