Des virus et des hommes 3

On n'est pas sérieux, quand on a dix-sept ans !

 

Il commence ainsi, le poème d'Arthur Rimbaud.

 

Lui parlait des beaux soirs, des cafés tapageurs et des tilleuls verts de la promenade ... Il parlait des soirs de juin où l'air est si doux, il parlait d'amour ...

 

de tout ce que nous voudrions encore, en ces jours où il n'est plus temps de vouloir.

 

Il parlait d'une époque révolue.

 

Aujourd'hui, nous sommes à l'heure d'une pandémie qui fauche les hommes dans tous les pays du monde. Personne n'est à l'abri, personne n'est indemne du fléau, fléau inconnu devant lequel le monde de la médecine tâtonne encore, même si leurs travaux sont déjà admirables. Pour éviter la propagation de la mort, car c'est bien de la mort qu'il s'agit, les gouvernements, qui ont aussi à charge de protéger leurs concitoyens, ont décidé le confinement de chacun chez soi, le temps qu'il faudra pour éradiquer la maladie.

 

Ce n'est pas forcément simple, mais c'est forcément nécessaire.

 

Comme dans toutes les épreuves, il y a les hommes ( et les femmes ) de bonne volonté, ceux qui comprennent, les vrais solidaires, ceux qui renoncent pour un temps à leur individualisme forcené. Ils sont nombreux, ils sont discrets, ils sont ceux qui maintiennent coûte que coûte notre foi en l'humanité.

 

Mais les autres ?

 

Ceux qui obligent nos maires à prendre chaque jour des mesures plus contraignantes pour qu'on n'enfreigne pas la loi, boucler des promenades, fermer des parcs, interdire des remparts, imposer des mesures draconiennes d'hygiène à l'entrée des commerces, ceux qui obligent nos gouvernants à répéter inlassablement qu'il faut rester chez soi, ceux qui font venir à la barre nos médecins, éberlués de voir que le seul soutien de la population est de les applaudir aux fenêtres.

 

Ceux-là vous disent : Il fait si beau ! comme si la météo réglait nos vies, et justifiait à elle seule qu'on en prît à son aise avec les consignes d'hygiène et de sécurité. Ceux-là vous disent qu'ils vont bien, et qu'après tout, une petite balade au soleil entre amis, ou un petit apéro, comme avant, dans le jardin, ou un badmington sur les quais n'ont jamais fait de mal à personne. Ils sont de plus en plus nombreux, le week-end, à enfreindre une loi dont le premier but, et le seul peut-être, est de les protéger, et de protéger les autres.

 

Quel égocentrisme que de tracer autour de sa petite existence ses propres règles, ignorant celles qui régissent une nation ! Quelle bêtise de croire que chaque petite entorse ne causera pas une tragédie future !

 

Je suis mère d'un homme qui travaille au SAMU d'Ile de France. Les nouvelles sont certes un peu meilleures, mais pas du tout rassurantes. Les médecins s'insurgent de sacrifier leur vies, quand une partie de la population s'amuse. Comme avant. Comme avant ! Parce que ça n'arrive qu'aux autres, parce que même si ça doit m'arriver, eh bien tant pis, ça m'arrivera. Oui, si ça n'arrivait qu'à vous, mais votre négligence , votre désobéissance, coûteront peut-être la vie à d'autres qui, eux, respectaient la loi.

 

Non, les hommes ne changeront jamais, et on reverra après cette crise sanitaire d'une ampleur jamais vue, les égarements de l'après-guerre, où l'on s'empressa d'oublier ce qui aurait dû se graver en nous comme un avertissement ultime. Le monde redeviendra ce qu'il était, peuplé de gens dont le fléau aura aiguisé les consciences - espérons que nos politiques seront du lot - et d'une majorité qui fondera sa survie sur l'oubli. Parce que c'est ce que l'Histoire nous révèle de l'humanité. Si l'on n'est pas capable de rester chez soi un temps défini, si l'on n'est pas capable d'en comprendre la nécessité, on croira toujours que les météorites nous frôleront sans jamais nous toucher.

 

Je désespère d'écrire cela, mais le petit groupe d'amis qui rigolent sous mes fenêtres en cet instant, le visage levé vers le soleil, la casquette en arrière , les filles découvrant leurs bras pour bronzer à la lumière d'avril, me donnent une irrésistible nausée. Et je pense que celui qui a écrit Le dormeur du Val partagerait ce sentiment.


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